De la pathologie individuelle à celle du groupe

Il est troublant pour le médecin de constater à quel point les grandes pathologies du siècle qui affligent les corps sont l’exact reflet physiopathologique des maladies sociétales, de « la » maladie, devrait-on dire.
Cette « hypertrophie du Moi » se caractérise, en toute logique, par divers ordres de troubles :
D’abord l’individualisme, le renfermement sur soi-même, l’oubli et l’indifférence aux autres, la perte de repères et de tout système de valeurs, les troubles de la communication et du lien d’autant plus paradoxaux qu’ils se développent dans un contexte technologique centré, justement, sur les moyens de communication, la solitude qui en dérive et, enfin, l’éclatement de ce « moi » en de multiples troubles névrotiques, voire psychotiques.
Ces troubles sociétaux éclatent d’évidence à tout regard lucide autant que compatissant.

Or, il n’est pas plus égoïste et individualiste que le cancer, la cellule cancéreuse. Son « moi » passe avant tout, mobilise toutes les énergies possibles du corps qui l’abrite. Elle ne pense qu’à une chose : sa propre vie. Elle se veut, en fait, une cellule immortelle. Son obsession est sa reproduction et son essaimage, véritable impérialisme destructeur. Cet individualisme poussé à l’extrême est aussi suicidaire car en tuant le corps-hôte, il tue la cellule atteinte. La cellule cancéreuse n’en a cure.

Le SIDA mais aussi tous les syndromes allergiques ou auto-immuns ont en commun un dérèglement de l’immunité. Les corps qui en sont atteint ne savent plus reconnaître "l’ ennemi ". Leurs réactions ne sont plus adaptées. Dans les syndromes d’immunodéficience, la défense est réduite à rien, dans les syndromes allergiques ou auto-immuns, elle est disproportionnée voire déviée vers l’ami.  L’organisme atteint a perdu tout repère et discernement. Sans système de reconnaissance, c’est à dire de valeur, il ne sait plus distinguer son bien. Il oscille, dans une inadaptation complète aux situations, entre l’apathie et l’agressivité.

Les troubles cognitifs, enfin, au premier rang desquels la Maladie d’Alzheimer sont avant tout une maladie du « lien » et de la communication. Par le dé-tricotage progressif de la mémoire, l’environnement devient étranger. L’organisme atteint commence par perdre sa capacité de mémorisation, de dire qui il est, d’où il vient et où il va selon les trois interrogations de Gauguin.  Moins de stockage de l’information, moins de restitution de celle-ci, moins de restitution, moins de re-connaissance, moins de re-connaissance, plus de solitude, plus d’angoisse, plus de renfermement, ce qui boucle le cercle vicieux.

Ainsi, dans le domaine du visible et de la raison pure, la pathologie de l’individu permet de comprendre celle du groupe.
Même un être purement rationnel et matérialiste peut imaginer, voire comprendre, qu’en amont de la pathologie du groupe se trouve la pathologie de l’esprit humain, la maladie spirituelle par excellence qu’est l’Orgueil, forme suprême de l’Hypertrophie du Moi qui contamine tout le groupe.
Est-ce à dire que ce dernier est un phénomène nouveau ? Non, bien sur.
Ce qui est nouveau, c’est la perte de l’antidote : la Foi.

Cette Foi grâce à laquelle, il fut un temps où plus de la moitié d’une population était moine ou moniale, où les monastères et autres lieux de vie monastique fleurissaient par centaines, par milliers.